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Droits de l’Homme, individualisme et Islam : l’Occident face à lui-même

extrait de l'ouvrage : chroniques de l'effondrement.

La proclamation des libertés individuelles comme valeur absolue dont le socle idéologique puise sa substance dans la Déclaration des droits de l’Homme provoque un certain hiatus. Cette dissonance provient probablement du fait que l’idéologie qui porte ces droits est une utopie, un idéal dont l’application ne peut jamais être sainement et totalement effective, on pourrait dire également que le propre de l'instant moderne, en opposition avec les sociétés traditionnelles dont les fondements sont garanties par un processus volontaire et continue de transmission, est de ne pas être pérenne en créant intrinsèquement les conditions de possibilité de sa propre illégitimité.




Pour le dire simplement, l’idéologie des droits de l’Homme évacue les identités collectives et fait donc le pari d’une société structurée par un agglomérat de droits individuels et de sentiments d’appartenance particuliers. Or, ceux-ci ne manquent pas d’entrer inextricablement en contradiction les uns avec les autres et ce malgré le complexe de procédures légales créé par une société surjudiciarisée, les lois qui s’accumulent pour faire face à ce qu’on pourrait appeler ( un peu facilement ) "l’identité islamique" en est bien la preuve.


Pourquoi le voile islamique et désormais l'Abaya font-ils si peur, au-delà de l’alimentation d’un feu médiatique alimenté par des pompiers pyromanes professionnels ? Car le voile est précisément perçu comme un symbole d’une identité collective vivante, une presque institution concurrente de l’identité collective française, ou Occidentale qui, elle, se désagrège à vue d’œil sous le poids de sa propre logique. En effet, les arguments contre le port du voile ou de l’Islam en général se constituent au nom d’un « bien commun français » qui se dissoudrait sous l'effet acide de principes prônés par les « envahisseurs ».


Le dilemme moral de l’Occident


Nous ne sommes pas de ceux qui nient le problème qu’un certain mal-être civilisationnel pose de façon de plus en plus virulente, en revendiquant des solutions qui selon nous, ne font, souvent, qu’accentuer le quiproquo. Il faut pour autant être assez lucide pour comprendre que la désagrégation des sociétés Occidentales se produit avant tout par le mouvement même de l’Occident et dont l’immigration et/ou l’Islam de ce point de vue, n’apparait tout au plus que comme un facteur minime et dérisoire de ce phénomène.


La laïcité, transposition nationale du libéralisme politique, se conçoit depuis le début de son histoire soit comme un ordre symbolique clairement antireligieux, soit comme un ensemble de droits instituant un espace neutre où se dissoudrait la religion comme bien commun au fondement du lien social et de l'identité civilisationnelle (le roman national républicain servant jusqu'ici de substitut). Les moyens et la rhétorique divergent mais le résultat est le même : sans la survivance de cette mythologie nationale, voit le jour une société sans forme, d’individus atomisés dont le fin tissu de valeurs disponibles s’étiole sous le poids d’une logique marchande et productiviste, ce paradigme ne laisse rien en dehors de lui, l'état de droit également dépend d'un marché où les groupes les plus influents ont plus de poids que les électeurs-citoyens.

Cette dynamique dont nous parlons est précisément le résultat de l’application de l’idéologie des droits de l’Homme, véritable charte du libéralisme dont l’objet est à la fois politique et économique.

Ce que nous disons, c’est que la modernité est intrinsèquement fondée sur une socialité antisociale et les sociétés qui en sont directement issues, pour ne rien dire des pays « émergents », font face à une crise structurelle de leurs institutions de plus en plus évidente, il est notoire que le politique s’effrite devant la logique marchande malgré le ton hypocrite ou désuet d’un républicanisme virulent mais qui se sait inéluctablement en fin de vie. Pour ne pas laisser l’idéologie individualiste rendre les sociétés perméables à ce qui semble être le fait social de l’Islam, qui avancerait sous le couvert de choix individuels, on en vient à réaffirmer le concept de laïcité comme un fort marqueur culturel d’une identité française séculaire.

Il en résulte le hiatus dont nous parlions, car on ne peut affirmer une identité collective en s’appuyant sur un concept vide qui dit moins ce que nous sommes que ce que nous ne sommes pas. Le libéralisme instaure un panthéisme du vide qui ne peut inclure en lui-même que des individus, ou ce qui revient au même des individus collectifs [1].


Plus concrètement, il faut comprendre à titre d’exemple que c’est au nom même de ces droits individuels que le port du voile islamique ne peut être interdit sans déroger aux principes que l’on souhaite par ailleurs défendre en le combattant (le port du voile). Autrement dit, l’Occident se trouve, dans cette polémique nauséabonde, en discussion avec lui-même et se pose la question de savoir comment articuler en son sein des valeurs contradictoires.

Nous poserons donc volontiers la question pour ceux qui ne peuvent ou ne veulent se la formuler à eux-mêmes : doit-on sacrifier l’identité collective, forcément impulsée par les institutions, aux droits individuels, c’est-à-dire aux désirs de chacun ? La fin justifie-t-elle les moyens ? En outre, la question se pose également aux musulmans qui voient souvent dans le modèle anglo-saxon un système plus tolérant de leur pratique. On conviendra que quelle que soit la réponse, il est un peu tard pour se poser la question (elle se pose de manière impérative aux pays du Sud et Orientaux). Il est en tout cas malséant de reprocher ses propres choix civilisationnels à ceux qui en subissent le plus les conséquences, en l’occurrence les populations du Sud (souvent islamiques) frappées continuellement et brutalement par la modernisation violente de leur société traditionnelle et donc par la destruction de leur identité collective (au nom évidemment des droits de l’Homme).


Le pari d’une identité collective



Pour en revenir à l’Occident, si l’on veut être cohérent, on doit admettre que l’on ne peut, par exemple, accepter de modifier l’institution du mariage en faveur de nouveaux droits « communautaires » d’une part et interdire ou honnir l’expression religieuse minoritaire d’autre part.

On ne peut, de la même façon, prôner à la fois une société fondée sur des « principes institutionnels » d’une part, et d’autre part tout réduire en dernière instance à une question de Produit Intérieur Brut. Ou bien le désir de chacun (surtout celui de consommer) devient un droit pour tout le monde et pour l’individu musulman également, mais alors la politique ne sera rien d’autre que de la gestion (qui risque de devenir bien compliquée), ou bien l’institution doit définir en grande partie le bien commun par lequel les citoyens devront faire société et alors il faudra tenir compte dans la mesure du possible des différentes cultures qui composent désormais cette « citoyenneté » sous peine de crouler sous le poids de contradictions insoutenables.


Nous avons bien dit cultures et non pas individus ! La solution pour nous n'est évidemment pas de proscrire le fait musulman ou de le diluer dans la matrice de l'idéologie marchande, mais au contraire de l'inviter à définir le nouveau pacte qui doit s'instaurer pour le bien de tous. En effet tout se passe comme si, le monde moderne avait pris ce qu'il y avait de pire à gauche et à droite pour prendre systématiquement le contre-pied de la tradition chrétienne, aujourd'hui méconnaissable, si bien que l'Islam ne peut dialoguer avec le monde politique qu'en perdant des plumes, mais en réalité l'Islam pourrait tout à fait s'entendre avec la revendication de justice prônée par le coté gauche et la revendication de l'ordre prôné par la partie droite. Ce que nous disons c'est que la France pourrait être davantage fidèle à elle même avec plus d'Islam et non pas avec moins. Plus les musulmans seront culturellement "désintégrées" dans la modernité moins ils feront partie de la solution.

C’est un peu en ce sens que Pierre Manent souhaite plus ou moins redéfinir le contrat social en tenant compte de la religion et de l’Islam en particulier, en tant que phénomène social qui impulse un certain rapport au monde, L'Islam doit être une tradition vécue et assumée dans toutes ses dimensions sans quoi la religion deviendra un vecteur de communautarisme récupéré et transformé par l'individualisme moderne. Autrement dit, en vidant l'Islam de sa substance, en le déracinant comme souhaite le faire le républicanisme et le libéralisme, on devient des pompiers pyromanes qui s'ignorent, on ne saurait mieux faire pour scier la branche sur laquelle on se trouve .


Les « musulmans » tout autant emprisonnés que le reste des Français dans cette vision des droits de l'homme, pour ne plus échapper à la question réelle qui se pose et pour être d’ailleurs un vecteur d’enrichissement véritable, doivent également à notre sens s’émanciper de l’idéologie individualiste en tant que norme absolue, cela doit passer par une éducation religieuse réelle et profonde qui nécessairement interrogera l'anthropologie moderne. C'est l'hybridité entre d'une part la mode, l'esprit revanchard, triomphaliste et puérile de la modernité avec d'autre part le vernis moralisant de la religion qui peut éventuellement poser problème mais non certes pas l'Islam qui reste en vérité le dernier rempart à la dissolution finale de la marchandisation de tout et de tous. Encore une fois plus on voudra diluer les musulmans, moins ils seront une chance pour l'Europe et l'Occident. Il faut au contraire accepter l'Islam dans sa dimension la plus profonde, mais cela veut dire que l'Occident doit enfin accepter d'être interrogé à partir d'autre que lui.

La femme musulmane doit pouvoir en effet dire haut et fort que le port du voile, en plus d’être un choix, est le fruit d’une institution religieuse, culturelle et/ou familiale qu’elle entend respecter, car cette institution la précède et la structure en tant qu’individu. On doit se rendre compte en Occident que l’individu est un concept qui, en soi, n’a pas de réalité.


En assumant une culture et non plus de simples choix individuels, les musulmans en France pourront peut-être ne pas devenir de simples produits folkloriques, consommateurs effrénés de produits halal ou créateurs de marchés de niche …Si la république veut se prémunir contre des revendications communautaristes plus ou moins arrogantes, elle doit comprendre qu’elle doit encourager l’identité traditionnelle de l’Islam qui est une identité vécue consciente et profonde, plus elle voudra convertir les musulmans à la modernité plus elle fabriquera ses propres monstres. N’oublions pas que ce sont le plus souvent des individus déracinés sans institution de sens et sans culture qui sombrent dans une folie meurtrière, qu’ils se disent musulmans ou racialistes. Individualiser le fait religieux, vouloir briser ou déconstruire la « oumma » au lieu de contribuer à sa constitution, c’est à notre sens fermer la porte à l’insufflation d’une réelle identité collective et culturelle saine, c’est briser une identité qui tend et chemine vers l’universel, ayant de véritables racines, mais aussi des ailes, une identité dont les fruits ont pendant des siècles et quoi qu’on en dise, nourri des sociétés diverses et florissantes mais riches d’une même vision du monde dont l’Occident ne veut toujours rien savoir si ce n’est avant de l’avoir passée au crible de son propre logiciel.


Déconstruire le phénomène religieux comme fait social total et identité collective ne fera qu’accentuer la lutte de tous contre tous.


La dynamique traditionnelle du Vivant




Si les Occidentaux ont renoncé à leur identité au profit de l’idée qu’ils se font de l’objectivité, s’ils ont renoncé à leurs institutions pour une « gouvernance par les nombres » comme le dit Alain Supiot eh bien il faut oser dire, même si nous le disons depuis un point de vue islamique, il faut oser dire que notre vision des choses est différente !

Le musulman-individu du point de vue du libéralisme, émancipé de sa Tradition, n’est selon nous pas une solution, on ne construit rien de bon sur du vide. La Tradition doit être entendue non pas comme une histoire figée, mais comme un coffre dont le trésor est un éternel présent. Comme le dit Sayed Nasr en substance, il faut être le langage vivant et contemporain des vérités éternelles qui nous habitent.


« La religion vivante est en réalité comme un printemps ; l’eau continue à en couler afin d’inonder et nourrir les champs qui l’entourent. En plus de la foi, je peux fournir des arguments pour mes croyances, et je suis déterminé à préserver ma vision du monde parce que je l’ai étudiée et que j’ai acquis une certitude à propos de sa vérité à la fois par la foi et l’intelligence. »[2]

Concernant les prescriptions religieuses telles que le port du voile, il s’agit pour nous de répondre, que les musulmans en aient conscience ou non, à une injonction dont la finalité, pour ce monde en tout cas, est certes individuelle mais aussi sociale et collective. Les musulmans dans leur diversité sont évidemment porteurs d’un certain rapport au réel, d’une vision du monde ayant forcément des implications ici et maintenant et qui impactera d’une manière ou d’une autre « la collectivité sociale ». Nous croyons donc qu’il nous faut pouvoir discuter en profondeur les mythes qui composent notre temps et partager sans complexe mais sans fougue belliqueuse notre propre vision du monde à partir d’une épistémè islamique et sans systématiquement se cacher derrière la laïcité ou les droits de l’Homme. Les modernes ne se connaissent pas, ils comprennent mal les maladies qui sont les leurs. Concernant les musulmans, il est urgent d'avoir les bonnes références et de retrouver par les héritiers authentiques un Islam traditionnel, qui ne néglige pas la réforme intérieure au profit d'intérêts annexes. Ni intégrés, Ni intégristes.


Pouvoir, toujours et avant tout en plaçant le spirituel au-dessus du social et de l’individu, en discuter librement sans que l'ignorance ne viennent alimenter le soupçon systématique et avant que ces problématiques ne se posent autrement que par les mots !


Et Dieu est plus Savant !

[1]Sur ce terme, voir Stéphane Vibert et Vincent Descombes. [2] https://sahilbadruddin.com/seyyed-hossein-nasr-on-role-of-thinking-in-islam-past-present-and-f ture

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